Désormais paru au Journal Officiel, le décret (n°2022-32) visant à mieux lutter contre la "haine en ligne" impose de nouvelles obligations - de modération entre autres - aux plateformes hébergeant des contenus d'internautes tels que des commentaires. Concrètement, que vont changer ces nouvelles dispositions et pourront-elles avoir un impact sur votre gestion de la présence en ligne ? Haine en ligne, Arcom, pression sur les GAFAM... C'est le moment de faire le point.
La lutte contre les contenus haineux et illicites, qui passe par la modération, se précise. Rôle de l'ARCOM, durée de validité de l'application du texte, seuils : les contours apparaissent plus nettement et, avec eux, les possibles impacts sur la gestion des conversations en ligne.
Un décret "d'attente" avant le Digital Services Act
Commençons par le commencement.
Ces dispositifs de lutte contre la haine en ligne (les "contenus en ligne haineux et illicites") ont vocation à laisser la place, une fois la transposition assurée en droit français, au Digital Services Act à l'échelle européenne. Véritable travail de création d'un environnement en ligne européen sans passe-droit, le texte permettra d'encadrer les très grands acteurs des internets et du web social (comprenez : les GAFAM) en garantissant la protection des utilisateurs.
Ainsi, le décret est appelé à devenir caduc une fois le DSA en vigueur, au plus tard le 31 décembre 2023.
Deux palliers de lutte contre la haine en ligne pour les plateformes
Si le décret vise assez clairement les GAFAM, il se veut un minimum graduel et fait donc la différence entre des acteurs importants et des acteurs décrits comme "systémiques".
Au-delà de 10 millions de visiteurs uniques mensuels
Comme l'explique clairement le communiqué du ministère de la Culture :
Les opérateurs dont l’audience dépasse un seuil de 10 millions de visiteurs uniques mensuels seront soumis à un socle d’obligations portant notamment sur la coopération avec les services répressifs, sur la mise en place de dispositifs de notification des contenus haineux illicites et de traitement de ces notifications, et sur la transparence concernant la modération de ces contenus.
Or, la "transparence concernant la modération de ces contenus" nous intéresse particulièrement. D'abord, parce qu'elle englobe largement tous les UGC, les contenus générés par les utilisateurs. Ensuite, parce qu'elle pose des questions pratiques. Comment va-t-elle se mettre en place ? Sur quels critères ? Nous y reviendrons.
Au-delà de 15 millions de visiteurs uniques mensuels : les "acteurs de taille systémique"
Le texte prévoit un deuxième pallier de mesures. Destiné aux plateformes telles que les réseaux sociaux dominants et grands hébergeurs d'avis en ligne, il se veut plus structurant.
Ces acteurs disposent d'une taille reconnue comme "systémique". A ce titre, ils se verront appliquer une couche supplémentaire d'obligation, plus ciblée encore et plus volontariste. Concrètement, "ils devront évaluer les risques de dissémination de contenus haineux illicites sur leurs services et prendre des mesures pour lutter contre cette dissémination, tout en veillant à préserver la liberté d’expression".
Qui sera évidemment concerné ? TikTok, Facebook (avec Whatsapp et Instagram), Twitter, Google, Snapchat, LinkedIn, Twitch... Mais aussi Netflix, Amazon, CDiscount, AliBaba, Pinterest, Reddit ou Orange.
Et puis, il y a les moins évidents. Ceux qui l'on ne range pas parmi les plateformes. Et si l'on en croit le dernier rapport Médiamétrie la SNCF, Doctolib ou Solocal Group dépassent bien les 15 millions de visiteurs par mois. Au total, les 50 plus grands groupes identifiés par médiamétrie franchissent ce seuil.
Bien. Mais... Comment fixer le cadre d'évaluation et faire en sorte que chacun applique de manière harmonieuse ces principes ? C'est là qu'entre en scène l'ARCOM, nouvelle autorité de régulation.
L'ARCOM, nouvelle autorité de lutte contre la haine en ligne
L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ou ARCOM, s'impose comme le nouvel acteur public de régulation. Né de la fusion entre le CSA et Hadopi, l'organisme se prépare donc à agir comme un "CSA des internets". Il permet ainsi à la puissance publique de s'appliquer sur un territoire jusqu'ici délicat, sans juste milieu entre action judiciaire et modération.
Et en ce qui concerne ce décret, c'est donc bien à l'ARCOM que revient le suivi, l'arbitrage... Et les éventuelles sanctions en cas d'abus des plateformes, qu'elles soient de streaming ou réseaux sociaux.
Ainsi, L'ARCOM peut mettre en demeure les sites de se conformer, sous peine de sanctions économiques. Et ces dernières peuvent s'élever jusqu'à "1% du chiffre d'affaires mondial total" des plateformes. De quoi inciter les GAFAM à revoir leurs dispositifs existants.
Mais concrètement, pour vous et la modération de vos espaces ?
Concrètement ? Si les plateformes sont tenues à une meilleures régulation des contenus et conversations en ligne qu'elles hébergent, il n'est pas dit que les options offertes aux propriétaires de pages ou de comptes d'entreprises pour faciliter la modération des contenus ne s'en trouve modifiées.
Vous pourrez donc être concernés à deux titres :
- Si votre groupe atteint 10 millions de visites par mois, voire 15 millions pour le pallier suivant ;
- Si votre marque, entreprise ou entité dispose d'un compte social à l'audience significative sur l'un de ces sites.
Dans le deuxième cas, il vous faudra donc vous équiper en conséquence, comme maintenant. Et, pourquoi pas, externaliser la modération voire l'animation des espaces pour en tirer le meilleur parti.
En revanche, il se pourrait bien que certains profils se fassent plus rares dans vos espaces, à l'instar des trolls politiques, des faux-comptes de pression... voire des profils faisant l'apologie du terrorisme, comme on en croise hélas sur certains espaces. Ces éléments particulièrement sensibles, si l'on suit la logique juridique du décret, devraient se voir opposer le nouveau travail des plateformes pour lutter contre la haine en ligne.
Pour l'instant, les effets à attendre de ces nouvelles dispositions restent nécessairement flous. Il nous faudra attendre l'application des textes pour en juger. Et juger du traitement de la haine en ligne par l'ARCOM. Toutefois, comptez sur nous pour y veiller et, le cas échéant, vous faire part de modifications ou d'ajustements qui pourraient survenir dans les prochaines semaines.
En attendant... La modération aux deux niveaux que sont les plateformes et les comptes sociaux reste centrale dans la lutte contre la haine en ligne. Et pour vos espaces, rien ne vaut l'activité de modération que vous engagez pour protéger votre e-réputation : sur cet aspect-là, vos choix restent déterminants !