La France, on le sait, est un grand pays de débats : au café, à la fac, dans les réunions de famille, en entreprise ou sur le net, les conversations polémiques font partie de la vie de tous les jours. Dans d'autres pays, si cette propension à évoquer la politique ou la place de la religion en public se fait plus discrète, on n'hésite tout de même pas à alimenter les conversations avec cet amour immodéré du football qui confère aux supporters les plus fervents un pouvoir particulier, où le bon mot de soutien devient un dribble et l'injure un tacle par derrière. Or, en France, on aime à la fois le football et les débats ; forcément, cela se ressent dans les commentaires en ligne... Mais s'il est des mots que l'on ne peut tolérer sur des sujets sérieux comme la politique, comment adapter la modération des commentaires au contexte de la Coupe du Monde ?
La ferveur autour du football, d'abord, n'est pas anecdotique ; le ballon rond a beau être présent tout au long de l'année à travers diverses compétitions, de la Ligue des Champions à la coupe Gambardella en passant par le championnat de France de Ligue 1, cette période de Mondial concentre particulièrement les passions. Et si, sur la modération des sites de presse, le flux de messages a augmenté avec les articles en rapport avec le football, ce volume a littéralement quintuplé en un mois sur nos espaces dédiés au foot comme certaines pages Facebook.
Bien évidemment, les commentaires à chaud et l'envie de partager les moments-clés des rencontres avec une communauté de supporters représentent une part importante des réactions à modérer. Et entre les parties les sempiternelles analyses et autres discussions visant à refaire le match disputent la vedette aux chroniques de la vie des équipes et aux incontournables pronostics. Voici pour le côté quantitatif. Mais entre provocation et passion, entre coup de gueule et coup de sang, que peut-on laisser qualitativement publier en tenant compte du contexte ?
Entre succession de jeux de mots, métaphores filées et formules inventives, le verbe fleurit plutôt bien en cette saison en tribunes comme devant le poste. "On va les déchirer", "J'espere que vous aller Dégomer Le Honduras Se soirt " ou "Ptin dribble de ouf le batar" (sic, sic et re-sic) font partie des réactions plus ou moins à chaud qui nous arrivent régulièrement en cette période d'apogée footballistique. Violence ? Dans le contexte, pas vraiment : le vocabulaire du supporter a toujours intégré le champ lexical de la guerre et une outrance propre à refléter la passion.
A noter que, lorsque les modérateurs sont tenus de qualifier un message (positif, négatif, neutre), la grossièreté et l'injure ne sont pas incompatibles avec le caractère positif de la réaction. Une vidéo d'un joueur à l'entraînement peut ainsi recevoir des "ouah l'batard" ou des "l'enfoiré" qui seront des signes d'admiration dans la plupart des cas et seront donc indiqués comme positifs. Il va de soi que ces codes ne sauraient s'appliquer en-dehors du contexte sportif. Quant aux messages de soutien visant à étriller, étriper, dégommer, défoncer ou anéantir l'adversaire, il faut évidemment partir du principe qu'il s'agit de métaphores... Mais jusqu'où peut-on aller dans le champ lexical de l'humiliation ou de la destruction ?
L'enthousiasme oui ; l'outrance pourquoi pas ? ; les menaces, la diffamation et les insultes gratuites, non. Alors que l'on comprendra le second degré de "Griezmann devant ? Deschamps a bien caché son jeu l'enfoiré", on ne tolèrera pas "Et cet enfoiré d'Evra joue toujours" ou "Mais quelle merde ce gars". A vocabulaire similaire, on doit pouvoir distinguer le coup de sang de l'injure : c'est précisément le travail du modérateur qui, comme l'illustre ce cas d'école, dispose de la formation et de la sensibilité requises pour séparer le bon grain de l'ivraie. Une nouvelle preuve, s'il en est, que des outils efficaces sont indispensables au bon travail des opérateurs mais que les modérateurs ne pourraient en aucun cas être exclusivement remplacés par des filtres et des machines. A mots égaux, la portée de deux commentaires dépend tant du contexte que du registre d'expression.